La journée du 8 mars est connue et reconnue à l’international pour être une journée de lutte pour les droits des femmes. Souvent récupérée par le féminisme bourgeois, l’histoire de son origine et de son identité ouvrière reste trop peu racontée.
C’est en 1910 que la militante communiste Clara Zetkin propose pour la première fois la création d’une “journée internationale des femmes” lors de la conférence internationale des femmes socialistes. Au mois de mars suivant, c’est plus d’1 million de femmes qui manifestent en Europe pour demander le suffrage féminin et l’arrêt des discriminations et le droit au travail.
Le 8 mars 1917, à Pétrograd (Saint-Pétersbourg), en Russie, en pleine 1ère Guerre mondiale, les ouvrières des usines textiles se mettent en grève et descendent dans les rues pour manifester et réclamer du pain. Elles entraînent avec elles les travailleuses d’autres usines et finalement c’est un mouvement ouvrier d’ampleur qui prend forme ce jour-là, et qui sera la base de la révolution de 1917. En 1921, le gouvernement soviétique propose la journée du 8 mars comme journée internationale des femmes, afin de commémorer les travailleuses grévistes de 1917.
Cette recontextualisation nous rappelle à quel point la lutte pour les droits des femmes et la lutte des classes ne peuvent être menées séparément. C’est ce que nous allons tenter de démontrer ici.
La source de l’oppression des femmes sous le capitalisme
Comme tout phénomène social, le patriarcat a une base matérielle. Contrairement à ce qu’affirment beaucoup de conceptions erronées, la source de la division genrée de l’Humanité n’est ni à trouver dans les choix / opportunités des individus ou leur identité (comme l’affirment les libéraux), ni dans leurs organes génitaux (comme l’affirment les essentialistes) : elle se trouve dans le rôle social d’une personne sous le patriarcat.
Celui-ci divise arbitrairement l’humanité en deux catégories distinctes (hommes et femmes), assignant au premier groupe les tâches dites “productives”, leur légitimant une position valorisante, et assignant au second les tâches dites “reproductives”, c’est-à-dire liées à la reproduction de la force de travail (éducation, entretien du foyer, etc.). Cette base de la division genrée se voit renforcée par un ensemble de stéréotypes, d’attentes sociales et de représentations légitimant et maintenant cette structure économique. C’est la source de l’oppression des femmes. Elle est universelle et s’exprime – certes différemment – dans l’ensemble des sociétés humaines.
Sous le capitalisme, cette division est toujours d’actualité, les femmes assurant ces tâches dites “reproductives”, souvent dans un cadre salarié, dans des métiers où elles sont largement sur-représentées (assistante maternelle, auxiliaire de vie, emploi de secrétariat, secteur paramédical, agente d’entretien, vente agroalimentaire, etc.). Elles occupent également plus d’emplois précaires et de temps partiels (80% des temps partiels), pour favoriser au mieux le travail salarié du mari et prendre en charge davantage le temps nécessaire à l’éducation des enfants.
Cette division genrée de l’Humanité est parallèle à la division de classe, ce qui explique que les femmes travailleuses ont un intérêt spécifique qui n’est pas le même que celui des femmes bourgeoises. Si ces dernières subissent le patriarcat dans son aspect de “superstructure” (stéréotypes et attentes sociales), elles s’extraient cependant de sa base économique (l’exploitation) en bénéficient directement du travail des autres femmes, n’ayant donc pas d’intérêt absolu à l’abolition des classes sociales et, en définitive, du genre.
Orientation genrée et exploitation
L’enseignement supérieur n’est pas exempt des dynamiques sexistes auxquelles sont sujettes les femmes au travail et dans la sphère privée. Au contraire même, la formation ne pouvant être détachée du travail, il participe activement au maintien du patriarcat.
L’orientation genrée sévit dès la naissance, par un conditionnement social et au travers d’une éducation genrée continue, on prépare donc le terrain très tôt, dans la sphère scolaire comme privée. Dès le lycée, dans les anciennes filières S / ES et L, c’est une majorité de femmes qui se dirigeaient et étaient dirigées vers la filière littéraire et très peu vers les filières scientifiques. La mise en place de la plate-forme Parcoursup, qui sélectionne entre autres sur des critères de “cohérence” des diplômes, cloisonne davantage les choix de parcours des étudiantes, ne permettant presque plus le passage d’une filière lycéenne à une filière universitaire différente (passage d’une filière littéraire à scientifique). Dans l’ESR, cette division genrée des filières se retrouve elle aussi ; les étudiantes sont surreprésentées notamment dans les filières littéraires et de sciences humaines (70%) ou paramédicales et sociales (84%). A l’inverse, elles ne sont que 40% en IUT et 22% en DUT production. Avec la récente réforme Blanquer, la part de filles dans l’option mathématiques a chuté de 8 points en seulement deux ans, se fermant ainsi d’autant plus la porte aux filières scientifiques, où elles sont déjà minoritaires.
Une sélection sexiste prend donc forme tout au long des études supérieures. Les étudiantes sont plus touchées par la précarité que les étudiants : on compte notamment 58% de boursières (les filières les plus féminines étant généralement celles les plus accessibles aux précaires), ce qui rend difficile l’obtention d’un diplôme. Les dynamiques sont les mêmes dans le corps enseignant, ou seulement 37% des enseignant-e-s chercheur-se-s titulaires sont des femmes. Beaucoup attendent cette titularisation et se retrouvent écartées rapidement au profit des hommes.
Les discriminations et les difficultés sociales quotidiennes permettent une sélection continue des femmes à l’université ; que ce soit par découragement, par discrimination consciente ou non de la part des enseignant-e-s, par la pression psychologique ou encore par le manque d’aide et d’accompagnement financier général et pour payer les frais médicaux spécifiques qui reviennent aux femmes. Le sous financement et le discrédit visant les sujets de recherche en lien avec le genre nous montre également la volonté du ministère de l’enseignement supérieur de restreindre la question féministe aux théories libérales portées par le gouvernement, là où la recherche viendrait donner du crédit à l’opposition.
Aujourd’hui, la moitié des femmes sont diplômées de l’enseignement supérieur contre à peine quatre hommes sur dix. Pourtant, leur taux de chômage est plus élevé, à presque tous les niveaux de diplôme, que celui des hommes, et leurs conditions d’emploi sont moins favorables. L’enseignement supérieur façonne en partie le monde du travail, il tient son rôle dans l’assignation au travail reproductif, salarié ou non.
La division genrée du travail est un atout majeur pour la production. Les femmes sont une main d’œuvre plus flexible et moins coûteuse que les hommes : pour les bourgeois, que demander de plus ? Les femmes sont payées, en moyenne, 23% de moins que les hommes à travail égal. Les féministes bourgeoises aiment à rappeler que c’est comme si chaque jour, à partir de 15h45, les femmes travaillaient gratuitement, sur une année elles travaillent gratuitement à partir de novembre. En réalité, ces calculs ne s’appuient que sur le différentiel de salaire entre hommes et femmes, et non sur la différence entre le salaire et la plus-value, ce qui fait que dans cette analogie, le travail gratuit des femmes commence en réalité bien plus tôt.
Quelle lutte féministe aujourd’hui ?
Les discours féministes d’aujourd’hui ont perdu leur identité de classe. On sépare la cause féministe de la lutte des classes, et la bourgeoisie et les gouvernants mettent en avant le féminisme bourgeois pour cacher en réalité les mécanismes sexistes qui sévissent et subsistent dans les coulisses du mode de production capitaliste.
Depuis les années 2010, un nouveau concept du féminisme voit le jour sous l’égide de la « GirlBoss ». On vante là le mérite de femmes qui se sont élevées au même rang que des hommes par la force de leur mérite et qui viendraient soi-disant contrebalancer les effets du patriarcat dans le monde du travail. Seulement, les allures entrepreneuriales ne trompent pas et rapidement, l’image féministe de la GirlBoss s’essouffle. Corrompues par le capitalisme et le patriarcat, ces femmes se retrouvent rapidement égéries du capitalisme et reproduisent en fin de compte au sein des entreprises les mêmes schémas de domination et d’exploitation des femmes que leurs homologues masculins. Elles sont la « caution » féministe des entreprises et la poudre aux yeux qui fait croire à une possible émancipation des femmes par la seule force de notre volonté. Finalement, les entreprises marquent des points auprès d’un public ciblé et jeune, en utilisant les techniques de marketing pour faire du profit sur le féminisme. Le féminisme bourgeois est finalement dirigé contre les femmes travailleuses.
La plupart des discours politiques parlent de la libération de « toutes les femmes » mais on oublie un peu trop vite que toutes les femmes ne mènent pas le même combat. Si le sexisme existe dans toutes les strates de la société, il existe et perdure dans un but précis : permettre l’exploitation d’une base de femmes salariées au service de la production capitaliste. Les femmes prolétaires sont les plus touchées, dans tous les pans de leur vie par le patriarcat. Leur combat est donc unique et partie intégrante de celui du mouvement ouvrier et par conséquent en opposition à celui de la bourgeoisie. Le féminisme bourgeois est donc un leurre, un combat en surface qui ne porte pas la fin des dynamiques patriarcales et la libération des femmes, mais permet au contraire de les justifier.
La condition sine qua non à la libération des femmes est l’abolition définitive du capitalisme et du patriarcat. Nous devons donc lutter aux côtés des travailleuses et porter un discours politique et syndical juste concernant l’émancipation des femmes, en rupture avec les conceptions bourgeoises et petites bourgeoises déviant l’oppression des femmes de leur exploitation.