De polémiques en polémiques, le Président-candidat Emmanuel Macron affine sa vision de l’enseignement pour la préparation de son programme à l’élection présidentielle de 2022. Aussi bien du côté du travail et de celui de la formation, le Président prépare pour nous l’aboutissement du projet néolibéral entamé il y a plusieurs décennies, revenant sur chacun de nos acquis. Nous vous proposons ici quelques éléments de compréhension de la vision macroniste du travail, de la formation et de l’enseignement, pour le renforcement de la dictature bourgeoise.
Le rôle de l’Enseignement supérieur et de l’Université sous le capitalisme
Sous le capitalisme, l’Université a un rôle bien précis dans la formation des élites intellectuelles, des professions libérales et d’encadrement. Dans ce sens, l’enseignement supérieur (ESR) forme dans son ensemble les classes dirigeantes et intermédiaires du pays. Il s’ouvre plus ou moins aux classes populaires dans les formations techniques et professionnelles qualifiées, avec les licences professionnelles et les BUT. En cela, l’ESR est une variable d’ajustement dans la division du travail, entre professions manuelles et intellectuelles, rôles d’encadrement et d’exécution. L’enjeu de la lutte sociale contre la sélection à l’Université s’inscrit donc dans un projet plus large de mise au service du savoir universitaire à l’ensemble des masses, d’une transformation du rôle même donné à l’Enseignement supérieur.
Libéralisation de l’économie et de l’ESR
Suivant la libéralisation de l’économie opérée à partir des années 1980, l’Université et l’ensemble de l’ESR s’adaptent aux impératifs de l’économie néo-libérale. Les privatisations massives opérées par gouvernements successifs, de droite comme de “gauche”, s’accompagnent de projets de réformes de l’enseignement visant à mettre les structures de formations publiques au service des entreprises. Régulièrement l’Institut Montaigne, “Think Tank” macroniste consacré aux politiques publiques en France, sort des rapports sur l’université publique et fait des propositions de réformes pour atteindre le modèle anglosaxon. Aujourd’hui, beaucoup de variables de l’enseignement supérieur public ont été levées au bénéfice de cette privatisation. C’est le cas de 1) la multiplication des partenariats public-privé pour le financement des infrastructures ; 2) des appels à projets et financements privés dans la Recherche ; 3) de la multiplication des stages déguisant un salariat gratuit ou peu coûteux ; 4) de la multiplication d’attendus sélectionnant sur des critères arbitraires à l’entrée des formations ; 5) de la sélection par la précarité et l’échec scolaire au cours des différents cursus, etc. L’ensemble de ces mécanismes façonne l’ESR en fonction de l’évolution des attentes du monde économique.
Macronisme : Un projet réactionnaire libéral teinté de “progressisme”
Le “macronisme” est le nom générique d’un projet libéral et réactionnaire qui ne s’assume pas, et cherche en permanence un pendant progressiste dans des mesurettes permettant au président-candidat de revendiquer un électorat “de gauche”, perméable au libéralisme depuis plusieurs décennies. La jeunesse française y est pensée dans le fameux dispositif “un jeune, une solution », incluant projets d’emplois et de formations, où encore le développement des services civiques peu rémunérés, mais aussi la militarisation de cette nouvelle classe d’âge dans le service national universel (SNU) et le recrutement dans la police et les armées jusque dans les facs.
Cette vision se retrouve par exemple dans ses dernières déclarations sur une éventuelle réforme du temps de travail selon les tranches d’âges, voulant faire travailler les jeunes 40 ou 45 heures par semaine. Pour lui : “c’est de la pipe”. Effectivement, quel cadre d’entreprise, quelle profession libérale, intellectuelle ou artistique, n’assume pas aujourd’hui de tels horaires ? Seulement, en plus de la rémunération qui généralement suit, on oublie de mentionner qu’une heure de travail n’a pas le même coût physique et mental selon le type d’activité exercée. Il propose simplement ici la mise à mort des travailleur/ses manuels, des ouvrier-e-s et d’une grande partie des employé-e-s avant l’âge de la retraite. En France, la semaine de 40 heures a été arrachée au patronat par la grève générale de 1936 : on opérerait ici un retour en arrière de plus de huit décennies.
Comme annoncé devant la Conférence des Présidents d’universités, Emmanuel Macron soutient aujourd’hui une “refonde” de l’ESR français, vers une forme d’unification autour des structures universitaires, élément longtemps réclamé par une frange du syndicalisme étudiant, contre la situation d’éclatement et cloisonnement sociologique actuel. On peut comprendre de cette manière sa vision critique des Grandes écoles et son ancien projet de suppression de l’ENA par exemple. A la différence des revendications progressistes, celui-ci ne souhaite pas se contenter de la suppression de ces institutions, mais mieux segmenter l’Université elle-même, comme c’est déjà le cas de projet de regroupements métropolitains ou régionaux, privatisant de facto une partie de l’Université publique. En parallèle du développement de filières élitistes et très sélective, la mise en place de “campus connectés”, sans accès aux services universitaires de base montre cette volonté d’unification de façade, d’une université accessible à distance pour les étudiant-e-s salarié-e-s, vivant en zones rurales ou périurbaines (ou vit aujourd’hui la majeure partie de la classe ouvrière française), où encore dans les territoires dits ultramarins. Ces déclarations et réformes sont toutes en accord avec les différents rapports de l’Institut Montaigne.
Intérêts bancaires, casse du service public et développement des prêts étudiants
On oublie trop souvent les liens du président Macron avec le secteur bancaire, qui a lui-même une place dans le comité de direction de l’Institut Montaigne. Depuis plusieurs années, la casse du service public se fait au bénéfice d’un secteur en particulier : les banques. Les universités s’endettent, tout comme les étudiant-e-s. Mais alors, pourquoi ?
- Premièrement, la casse organisée du service public et la qualité en baisse des formations publiques poussent de plus en plus de personnes à s’inscrire dans le privé (21% des étudiant-e-s aujourd’hui), vu comme un gage de qualité, avec un taux d’insertion dans l’emploi plus fort et plus rapide.
- Ensuite, les dispositifs d’aides sociales destinés aux étudiants n’augmentent pas aussi vite que l’inflation, le coût global de la vie et le nombre d’étudiant-e-s qui pourraient y prétendre. Sur le logement, cette casse a un effet net : pour la première fois à l’année universitaire 2021/2022, le parc de résidences étudiantes privées a dépassé celui des CROUS (et cela a un coût).
- Enfin, la législation évolue pour faciliter les prêts étudiants, s’endettant ainsi de plusieurs milliers d’euros pour financer aussi bien frais d’inscription que la vie courante, parfois pour éviter le salariat au prix d’un endettement de plusieurs années. Cette nouvelle législation est l’illustration d’une nouvelle vision idéologique de l’ESR : avec des mesures comme les “prêts garantis par l’Etat” depuis 2014, où la création du statut d’étudiant-entrepreneur, l’enseignement supérieur n’est plus vu comme un investissement collectif de la société sur l’avenir, mais un investissement purement personnel de l’étudiant-e.
300 000 étudiant-e-s auraient aujourd’hui recours à ce type de prêt, phénomène marginal il y a quelques années. Le monde anglo-saxon peut ainsi nous servir d’exemple. Partant de la quasi-gratuité jusqu’à la fin des années 1970, les frais d’inscriptions sont alors instaurés pour les étranger-e-s, puis étendus aux nationaux en 1988. Ceux-ci sont rendus obligatoires pour toutes et tous en 1998, peu importe la situation sociale, les étudiant-e-s étant alors considéré-e-s comme des investisseurs. Le principe de gratuité de l’enseignement supérieur est alors définitivement abrogé. Les frais augmentent alors jusqu’à plusieurs milliers de livres, rendant quasi systématique le recours aux prêts étudiants. La voilà, la refonte de l’Université rêvée d’Emmanuel Macron.