Alors que l’extrême droite gagne du terrain en France, le gouvernement choisit délibérément de laisser sévir et d’alimenter ces théories dangereuses dans l’enseignement supérieur, menaçant une fois de plus l’université publique, gratuite, critique et ouverte à tout-e-s que nous défendons. Depuis la Seconde Guerre Mondiale ,l’extrême droite, bien qu’affaiblie dans un premier temps, a tout fait pour subsister à travers les époques. Le milieu étudiant est malheureusement loin d’être imperméable à ces idées et c’est d’ailleurs même un levier dont les organisations, les mouvements et les groupuscules d’extrême droite ont su tirer parti. Si aujourd’hui leur niveau de violence sur les universités n’est pas tout à fait le même qu’à l’époque, la banalisation croissante des discours extrémistes de leurs pairs participe à leur radicalisation et à la montée de l’extrême droite sur les Campus.
Un peu d’histoire : les organisations d’extrême droite dans l’ESR
Le Groupe Union Défense (GUD).
C’est dans un environnement post seconde guerre mondiale, juste après Mai 68, en réaction à la domination de la gauche dans les universités, que va émerger un nouveau groupuscule étudiant, le GUD, en 1968 dans la fac parisienne de droit : Assas. Issu de la dissolution d’un mouvement politique français d’extrême droite “Occident” qui trouvait ses origines dans la nostalgie du régime de Vichy où le racisme et l’antisémitisme sont assumés et exprimés sans complexes, le GUD est une organisation néofasciste de l’extrême droite groupusculaire radicale qui trouve pleinement sa place dans le paysage traditionnel de l’extrême droite française. Leur but premier est de réprimer de manière radicale les actions de la gauche dans les facs afin de récupérer le contrôle sur les universités. Ils se rendent dans plusieurs universités parisiennes à l’aide de commandos organisés pour « frapper du gauchiste » à plusieurs reprises avec à la clé des dizaines de blessé-e-s, étudiant-e-s, militant-e-s et même enseignant-e-s ainsi que des blessé-e-s graves et de nombreuses interventions des forces de l’ordre. Le GUD ne se cache pas et affiche partout sa croix celtique, la même que celle du mouvement politique fraichement créé en 1969 « Ordre nouveau » qui participera d’ailleurs à son développement en tant que branche étudiante avant de devenir celle du Parti des Forces Nouvelles (PFN). Si l’anti-communisme anime les Gudards, leurs actions vont prendre un autre tournant dans les années 80 pour s’inscrire dans le climat antisémite et raciste de l’époque. Ils envoient des attaques sur les militants d’organisations de jeunesse juifs et prennent comme nouveau cheval de bataille l’immigration à l’image des organisations « adultes » d’extrême droite.
La plupart des gudars évoluent dans plusieurs organisations d’extrême droite en dehors de l’université. Le GUD devient l’unique mouvement étudiant nationaliste conséquent et rentre dans une stratégie de recrutement de la jeunesse étudiante pour renflouer les effectifs des organisations politiques d’extrême droite telle que l’Ordre Nouveau, le Parti des Forces Nouvelles, le Front National, etc. Mais le GUD privilégie des relations avec des organisations plus violentes et radicales que le FN, bien qu’ils finiront par représenter une bonne partie de leur électorat et de leurs membres. Le GUD va perdre en force dans les années 80 après que plusieurs de ses militants choisissent de rejoindre le Front National de la Jeunesse, ce qui poussera le GUD à s’associer à des organisations d’une droite moins radicale avant de changer de nom en 1988 pour devenir l’UDEA (l’Union des Etudiants d’Assas). Pendant plusieurs décennies le GUD disparaît et existe essentiellement par l’intermédiaire d’autres associations d’extrême droite, il revient sur Assas en 2010, puis une antenne du GUD est crée à Lyon en 2011 et après 12 ans d’absence le GUD revient sur Nancy en 2012. Ils militent activement au moment de la loi sur le mariage pour tous aux côté de LMPT et n’hésitent pas à utiliser et appeler à la violence raciste, homophobe et antisémite. Ils continuent d’exister de manière moins active et de faire usage de la force dans plusieurs villes : Nancy, Strasbourg, Lyon, et sur Paris notamment.
Les organisations d’aujourd’hui (UNI et Cocarde)
Aujourd’hui, nous faisons face à plusieurs forces d’extrême droite sur les universités, qui s’inscrivent pleinement dans le climat raciste de leur temps : l’UNI et la Cocarde étudiante. Ces organisations portent plus ou moins les mêmes idées avec un niveau de radicalité de pratique différente. Toutes deux soutiennent pleinement la sélection à l’université et donc Parcousup, sont contre l’accueil des étudiant-e-s étranger-e-s et pour l’augmentation de leurs frais d’inscription défendant ainsi le plus possible la méritocratie et l’élitisme universitaire, à l’image d’une France raciste et classiste, qui sert les intérêts de la bourgeoisie.
L’UNI, organisation gaulliste créée en 1969, en réaction à Mai 68 traversera les époques et sera notamment soutenue publiquement par Georges Pompidou, pour veiller à ne pas reproduire un Mai 68. Elle se veut l’organisation “anti-UNEF” à droite. A la différence des autres organisations abordées, l’UNI ne rassemble pas que des étudiante-e-s mais toute personne qui souhaite lutter contre les idées communistes et “gauchistes” au sein de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette organisation dépendra politiquement des organisations de droite allant du RPR, à LR en passant par l’UMP. Ils ne se reconnaissent pas d’extrême droite, l’UNI sert l’UMP notamment pour concurrencer les candidats d’extrême droite dans un but électoral en mobilisant les voix universitaires. Au-delà de leurs idées semblables, l’UNI entretient pourtant à plusieurs reprises des liens directs avec des partis ou des groupuscules de la droite extrême. Certain-e-s de ses membres sont responsables dans des structures du Front national de la jeunesse dans les années 90′, ils formeront des listes communes avec le GUD avec qui ils participeront à des actions violentes. Le GUD leur fournira aussi des forces pour certaines actions. L’UNI défend le retour aux traditions, la famille et se bat contre le progressisme, en utilisant la rhétorique d’extrême droite et encore plus aujourd’hui axant son combat contre « l’islamo-gauchisme » et évoquant à maintes reprises la « racaille » dans sa communication.
La Cocarde étudiante a été créée il y a 6 ans à Assas, là où toute organisation d’extrême droite étudiante semble voir le jour. Née d’une déception de la droite de l’UNI, ils souhaitent faire barrage à la gauche agitatrice en restaurant le gaullisme et en unifiant les souverainistes sur les universités, sans aucun rattachement à une organisation ou à un parti. Pourtant dans les faits, on comprend bien vite que la cocarde étudiante est plus liée aux organisations extrémistes qu’elle ne le prétend. Florian Philippot, gaulliste longtemps acteur de la “dédiabolisation” du FN, les encourage d’ailleurs ouvertement sur les réseaux et ce, dès leur création. En réalité, plusieurs membres fondateurs de la Cocarde entretenaient déjà des liens directs avec ce dernier avant leur création. Même si le niveau de violence n’est pas le même que les groupuscules qui les ont précédé, ils n’hésitent pas à faire usage de la violence ; en mai 2018, lors de la mobilisation contre Parcoursup, la Cocarde accompagnée de l’Action Française, s’en va tabasser les étudiant-e-s mobilisé-e-s des campus occupés de Clignancourt et Malherbes causant plusieurs blessés. Elle récidivera à Assas 2 ans plus tard pour déloger des occupant-e-s.
Sur les réseaux sociaux, ces deux organisations font régulièrement allusion à Eric Zemmour, polémiste ouvertement islamophobe, pour illustrer leur pensée. La Cocarde à même lancé un hashtag de soutien à Zemmour suite à des propos racistes, et l’UNI n’a pas manqué de faire circuler une pétition de soutien à E.Zemmour lorsqu’ils l’ont jugé nécessaire. En 2020, les militant-e-s de la Cocarde Lille postent sur leurs réseaux sociaux des photos d’étudiantes voilées prises à leur insu avec comme légende : « Université AL Azhar du Caire ? Université de Bagdad ? Raté : Université de Lille. [..] » et n’encoureront aucune sanction. Loin d’être isolés, les réseaux sociaux de la Cocarde étudiante et de l’UNI sont les relais universitaires directs des dangereuses théories de l’extrême droite, participant à leur banalisation dans le milieu étudiant, allant du grand remplacement, en passant par l’« indigénisation » et le fameux combat contre “l’islamo-gauchisme”.
Au-delà d’être vecteurs d’idées, c’est un biais de formation important que représente le bassin universitaire pour les organisations politiques et les groupuscules radicaux de la droite et de l’extrême droite. La Cocarde étudiante notamment, qui se déclare pourtant fièrement indépendante d’organisation, compte parmi ses membres beaucoup d’éléments qui gravitent dans les sphères groupusculaires de Génération identitaire notamment et sur les listes du Front National. En terme d’actions communes, il n’est pas rare qu’ils assurent ensembles le service d’ordre de La Manif pour tous ou qu’ils invitent des personnalités telles que Marion Maréchal-Le Pen à certaines de leurs « conférences », sans parler de leur soutien public à Génération identitaire pour leurs actions et contre leur dissolution. Beaucoup d’étudiant-e-s engagé-e-s aujourd’hui dans ces organisations se retrouvent ou se retrouveront assez vite sur les listes électorales du Front National. Ces organisations étudiantes sont formatrices de futures figures de l’extrême droite.
Ces nouvelles générations d’organisations d’extrême droite à l’Université mènent beaucoup moins d’opérations violentes et tentent de paraître, sur le papier, plus mesurées que leurs ancêtres. La Cocarde essaie de se faire plus discrète que pouvait l’être le GUD, ne signant pas leurs tag du symbole ou du nom de leur organisation, et sont souvent volontairement difficilement identifiables sur les facs. Ces organisations touchent aussi beaucoup grâce aux réseaux sociaux et qui représente un nouveau moyen de recrutement. Ils se disent ouverts aux étudiant-e-s de tout bord de la droite ce qui permet de renflouer leurs rangs assez largement, là où le GUD représentait une branche violente plus réduite de l’extrême droite “nationaliste révolutionnaire”. Ces organisations s’inscrivent dans un contexte différent et particulier où il est de plus en plus toléré de tenir des propos racistes, antisémites, islamophobes publiquement de manière décomplexée, banalisée et en toute impunité. Ces organisations étudiantes prennent donc place de plus en plus naturellement au sein des universités d’une France qui a su institutionnaliser les discours d’extrême droite ces dernières années. De plus, l’échec de gestion de la menace terroriste par le gouvernement qui préfère lui même s’en prendre à la communauté musulmane et aux enseignements universitaires pour détourner l’attention, laisse place à la récupération politique de la peur provoquée par les attentats, au profit de l’extrême droite et de leurs organisations de jeunesse qui réagissent et veille à l’utiliser pour faire progresser leur idéologie dans les universités sans qu’ils n’encourent aucune sanction. Le clivage idéologique gauche / droite beaucoup moins marqué qu’après 1968, et le glissement global vers la droite de l’échiquier politique permet également plus facilement la diffusion générale de ces idées. On remarque qu’une partie de la gauche reste en retrait sur la politique islamophobe du gouvernement et participe même à alimenter certaines polémiques. La succession de lois répressives et de discours haineux est plus qu’alarmante et montre le rôle que joue le gouvernement dans la montée de l’extrême droite dans les universités.
Le rôle du gouvernement
Après des années de banalisation des discours racistes et islamophobes ainsi que d’une instrumentalisation maîtrisée de la peur générée par les attentats, le gouvernement a clairement laissé sévir les idées nauséabondes de l’extrême droite, avant de les concurrencer lui-même. Les récentes lois : LPR, lois sur les Séparatismes, loi sur la Sécurité globale sont toutes trois étroitement liées et ont elles aussi vocation à toucher l’Université, ce qui enchante par ailleurs l’UNI et la Cocarde. D’une part, ces mesures visent à éliminer les idées progressistes en permettant une censure légale de sujets de recherche, notamment ceux touchant aux études de genre, au post-colonialisme, au féminisme etc en les sous-finançant et de l’autre côté elles permettent de contenir toute contestation en s’attaquant directement aux libertés syndicales et associatives.
Récemment, la ministre de l’Enseignement supérieur a demandé une enquête sur l’« islamogauchisme » qui gangrènerait les universités. Si les chercheurs du CNRS ont réfuté la demande de Mme Vidal pour enquêter sur l’islamo-gauchisme, précisant qu’il ne s’agit en rien d’une réalité scientifique, un chercheur du CNRS, David Chavalarias, s’est néanmoins donné la peine d’étudier l’origine et l’utilisation de ce terme d’ « islamo-gauchisme » et les résultats sont clairs. Sur les réseaux sociaux, les pages et comptes les plus impliqués dans la promotion de « l’islamo-gauchisme » sont tous idéologiquement d’extrême droite. Et d’ailleurs les communautés politiques historiques ayant le plus contribué à la popularisation et la promotion du terme sont le Rassemblement National et Les Républicains (les parents des organisations étudiantes UNI et Cocarde rappelons-le). C’est un terme qui s’inscrit entièrement dans le jeu politique de l’extrême droite pour discréditer ses adversaires et diriger une haine envers la communauté musulmane et lutter contre les idées progressistes. C’est un terme qui s’est vu être utilisé à de multiples reprises directement par les membres du gouvernement, ce qui vient réaffirmer leur soutien aux théories d’extrême droite et au conservatisme républicain.
La remise en question des financements des sujets de recherches, indispensables à l’analyse des oppressions systémiques, la demande d’enquête sur l’« islamo-gauchisme », la suppression progressives des libertés syndicales et associatives, l’impunité laissée aux organisations d’extrême droite sur les facs, la mise en place de « conditions » respectant des « principes républicains » flous dans plusieurs strates de l’université, tout ça s’inscrit dans un processus de répression et d’intimidation politique qui conforte et soutient pleinement l’existence d’organisations telles que l’UNI et la Cocarde dans les universités. La prise de position du gouvernement est claire, et participe à la montée de l’extrême droite sur nos campus. Nous ne devons pas céder aux tendances fascistes et racistes qui s’installent progressivement sur les universités, nous devons répondre par l’organisation et la lutte collective. Lutter contre l’extrême droite en protégeant l’université publique, libre et gratuite et lutter ensemble contre le processus islamophobe et la tendance fasciste qui prennent place progressivement dans les universités.