Quelle frontière entre LREM et le RN ? Ce que révèle la polémique sur “l’islamo-gauchisme”

Depuis le début du quinquennat Macron, la recomposition politique suivant l’émergence d’En Marche au détriment des deux anciens partis de gouvernement (PS et LR) laisse place à un nouveau clivage que souhaite tenir durablement le président, entre son parti et le Front national. Si initialement, la stratégie d’Emmanuel Macron était essentiellement libérale, se présentant comme garant d’une vision “progressiste” du monde, en opposition avec l’obscurantisme du parti fasciste, la dualité FN/LREM pousse ce dernier à maintenir ses positions en s’adressant de plus en plus directement aux franges réactionnaires de la société française. A l’approche des élections régionales et départementales du mois de juin, cette stratégie de séduction des réactionnaires a été relancée par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal. Le 16 février, elle annonçait à l’Assemblée nationale demander au CNRS un bilan de recherches et une enquête scientifique sur “l’islamo-gauchisme” à l’Université.

L’antiracisme et l’Universalisme républicain

Thème et sémantique chère à l’extrême droite depuis plusieurs années, l’Université française y est critiquée depuis l’émergence des travaux dans les disciplines de Sciences sociales portant sur le post-colonialisme, le genre ou l’intersectionnalité. La question du racisme et de son traitement dans ces sciences est régulièrement sujette à polémique, liée à l’analyse des récents mouvements antiracistes, suivant notamment ceux s’opposant aux violences policières avec les morts d’Adama Traoré ou George Floyd. Les manifestations de juin 2020, le débat sur le racisme et les mémoires historiques avaient aussi été l’occasion d’un traitement raciste des mobilisations et d’une grande visibilité médiatique donnée au Front national, ou à des groupes comme Génération identitaire.

Cette nouvelle visibilité des forces antiracistes dans les luttes est également régulièrement accusée de briser l’unité nationale ou l’égalité républicaine en rendant visible et en ayant des revendications spécifiques aux personnes racisées (victimes de racisme). Critique de l’histoire coloniale et de l’impérialisme français, ainsi que des dynamiques sociales qui en découlent directement sur le territoire national, la visibilité de ces combats ébranlent de près l’un des principaux éléments de l’idéologie bourgeoise française héritée de la tradition révolutionnaire, à savoir l’universalisme républicain. A l’origine synonyme d’émancipation et idéologie exportatrice des idéaux révolutionnaires et de l’universalité des droits, c’est aussi derrière cette bannière que la République a asservi et exploité les peuples colonisés pendant des décennies, quand ce n’est pas actuellement le cas aujourd’hui encore.

L’islam de France depuis la Guerre d’Algérie

La place de l’islam en France est particulièrement liée à l’histoire coloniale, arrivée en grande partie avec les populations arabes immigrées et notamment algérienne. Sous l’Algérie française, avant la victoire de la guerre de libération nationale menée par le FLN, deux statuts distincts séparaient en effet les citoyens français “nationaux” ou colons, des “indigènes” ou “français musulmans d’Algérie”. Très vite, le qualificatif de sujet ou citoyen “musulman” crée ainsi et jusqu’à la décolonisation un statut propre sémantiquement relié à la pratique religieuse ou au lien culturel à l’islam. Cette réalité est d’ailleurs tant valable en Algérie que sur le territoire métropolitain. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, soumet ces citoyens à des mesures de couvre-feu au plus fort de la guerre d’indépendance, en 1961. Protestant et bravant ces mesures, des centaines de victimes sont tabassées ou noyées dans la Seine par la police française le 17 octobre 1961.

Depuis les années 1970-1980, la montée en force du FN suivant la guerre d’indépendance et les crises économiques, “l’arabe” ou le “musulman” ont progessivement été désignés comme l’ennemi de l’intérieur, volant le travail des français et important leurs pratiques culturelles. La thèse du “Grand remplacement” qui imposerait une guerre civile aux français blancs a progressivement fait son chemin au cours des années 2000 dans les cercles d’extrême droite. La stratégie “libéral-nationaliste” de Nicolas Sarkozy se place en concurent du FN sur les thèmes sécuritaires et de l’immigration, leur donnant alors plus d’écho jusqu’à répéter le même schéma actuellement entre LREM et le FN. A l’époque, Sarkozy amalgame la question de l’islam avec celle de l’immigration, du chômage et de la situation insurrectionnelle dans les banlieues, pariant sur le Conseil français du culte musulman (CFCM), en lien avec le ministère de l’intérieur, pour assagir la jeunesse immigrée. En 2016, peu avant l’élection présidentielle, la même guerre rhétorique est relancée par Christian Estrosi, popularisant l’idée d’une “Cinquième colonne” islamiste, agissant au sein de l’Etat français pour y prendre le pouvoir, en visant directement l’organisation du culte musulman.

L’amalgame permanent fait entre terrorisme/fascisme islamiste et l’Etat islamiste avec l’islam de France agit comme un jeu de surrenchère longtemps cantonée à l’extrême droite mais qui s’étend à LR et les formations centristes. Au cours du quinquennat Hollande, il a plusieurs fois été reproduit par des responsables issus du PS, comme Manuel Valls. Les conversions ou radicalisations ne se font pourtant que marginalement dans les réseaux religieux et principalement sur internet ou en prison. Pour justifier l’incapacité qu’a le pouvoir français à lutter efficacement contre l’islamisme, la bourgeoisie détourne ainsi volontairement la responsabilité des actes terroristes sur une partie vulnérable de la population, exacerbant une situation d’islamophobie ambiante aux conséquences concrêtes pour la sécurité et l’intégration des français-e-s ou immigré-e-s musulman-ne-s.

“L’islamo-gauchisme” à l’université

Quatre mois avant les élections intermédiaires et un an avant l’élection présidentielle, la dernière offensive contre les musulmans les amalgame avec les mouvements progressistes (ici universitaires) à savoir les études décoloniales et le prisme intersectionnel. Sémantiquement, le terme en rappelle un autre, plus ancien : le “judéo-bolchévisme”. Né dans les milieux tsaristes et popularisé dans le reste de l’Europe par les mouvements fascistes, celui-ci permettait d’opposer aux partis communistes un complots juifs dont ils seraient l’instrument, d’entretenir et de nourrir le racisme pour mieux le dresser contre les forces révolutionnaires. Antisémitisme et anticommunisme se confondaient ainsi pour assurer la victoire totale des forces fascistes sur le continent. Ici, le raisonnement intellectuel est le même : les musulmans seraient les agents d’un ennemi extérieur, à savoir Daesh, et toute lutte contre la stigmatisation, pour la reconnaissance mémorielle, contre les violences policières, économiques ou sexistes spécifiques les visant serait un acte de compromission. Pour le président de la République, nombre de compatriotes musulman-ne-s se rendent coupable de “séparatisme” en agissant contre la République ; nécéssitant le vote d’une loi fourre-tout et à l’application plus que discutable, dont le seul intérêt est encore de focaliser le débat pubic sur le problème qu’aurait l’islam avec l’Etat. 

Quelques jours après les propos de Frédérique Vidal, bien que l’Elysée ait communiqué sur un “recadrage” en conseil des ministres, ces propos sont validés par le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer. Elle qui avait cautionné que l’Université française étaient “une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini », le ministre affirme lui que « les idéologies indigéniste, racialiste et ‘décoloniale’ [dans les universités] nourrissant une haine des blancs et de la France ». En quelques semaines, un usage rhétorique propre à l’extrême droite ne désignant à priori rien de plus que la progression et/ou le soutien des luttes antiracistes s’est ainsi banalisé comme une attaque du reste de la classe politique, approuvé par LREM. En pleine crise sanitaire et dans un moment d’inaction et de revirement permanent causant 400 ou 500 morts journaliers, alors que la pauvreté (notamment étudiante) explose, le gouvernement et ses ministres détournent l’attention médiatique en alimentant le racisme. Malgré l’opposition du CNRS et de la Conférence des présidents d’universités (CPU), le ministère persiste à vouloir interférer dans la recherche universitaire et l’orientation idéologique des travaux des chercheuses et chercheurs. La réponse est tout aussi inédite avec la parution d’une tribune signée par plus de 200 chercheuses et chercheurs demandant la démission de la ministre. Il faut dire que son bilan ne faisait déjà pas l’unanimité au sein du monde universitaire, loin de là.

Discours et actes : Renforcement de la tendance au fascisme

Plus largement et le même mois, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin était envoyé sur le plateau de France 2 pour débattre avec Marine Le Pen, qu’il qualifie alors de “molle”. Deux semaines plus tard, il débattait avec Eric Zemmour, polémiste d’extrême droite et partisan de la préparation d’une guerre civile contre les musulman-e-s de France, sur CNEWS. Progressivement, les “digues” se rompent ainsi entre les deux formations, jouant à laquelle assumera le plus son racisme, Marine Le Pen allant jusqu’à prendre une posture de défense des français musulmans devant Gérald Darmanin. Il y a quatre ans, ce dernier manifestait pourtant aux côtés de groupes fondamentalistes catholiques et musulmans dans le mouvement de La Manif pour tous. C’est un exemple parmi tant d’autre des conciliations nombreuses qu’on pu montrer les libéraux et réactionnaires avec les groupes islamistes soutenant le terrorisme ces dernières années. Qu’il s’agisse de groupes comme Lafarge ayant financé l’Etat islamiste, ou de partenariats diplomatiques avec des Etats conciliant avec Daesh, comme l’Arabie Saoudite ; la bourgeoisie impérialiste française et ses gouvernements successifs n’ont eu de cesse de soutenir ou entretenir le développement des groupes terroristes au Moyen-orient, causant les mort-e-s que l’on connait en France.

Le dirigeant communiste Georgi Dimitrov a défini le fascisme comme « la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes » de la bourgeoisie. Il est important de comprendre le fascisme comme un processus et non un événement, visant à faire taire les contestations populaires en temps de crise. Cela se traduit par la disparition progressive des éléments de “démocratie” et de liberté dans un État, comme une juste représentation et un semblant d’élections honnêtes, la limitation des droits de réunions, de manifestations, de grève, ou encore le renforcement des effectifs de police. A chaque élection, le parti fasciste que représente le FN ne cesse de progresser et LREM prétend lutter contre l’extrême droite en la concurrençant, montrant qu’il y a une nécessité pour la bourgeoisie française de se préparer à un gouvernement fasciste. La récente dissolution de Génération identitaire est un exemple supplémentaire de poudre aux yeux : les dissolutions administratives n’empêchent pas la reformation des groupes sous de nouveaux noms et la police française ayant largement montré sa sympathie pour le groupe lors de leurs actions où leur manifestation d’opposition à la dissolution. Deux jours avant cette manifestation, une marche était organisée sur le campus de Nanterre en hommage à notre camarade Guillaume, décédé la semaine précédente. Pour la première fois depuis la création de l’université, la franchise universitaire n’a pas été respectée et la police a pénétré sur le campus pour verbaliser les étudiant-e-s de la résidence manifestants. Intervenant quelques mois après la dissolution arbitraire du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), ces dissolutions couplées permettent au gouvernement de donner des gages à une base électorale modérée en se créant une posture “centriste”, confortant la stratégie d’hégémonie de LREM dans le jeu politique.

Comprendre et résister

Entre une volonté de contrôler la production universitaire et son financement, et viser explicitement et de manière récurrente les musulman-e-s dans le débat public, le gouvernement fait le choix de la diversion et de l’attaque raciste. Ne maîtrisant pas la crise sanitaire et enfonçant la population dans une situation d’incertitude et de misère grandissante, la bourgeoisie cherche à maintenir ses intérêts à tout prix. Dans le monde universitaire, la remise en cause des champs de recherches “décoloniaux” par le gouvernement est une démonstration supplémentaire de soutien au racisme. Visant un ensemble réunissant des chercheuses et chercheurs aux analyses divergentes cherchant à comprendre les mécanismes de l’oppression raciste suivant la colonisation, cette volonté de censure, en plus de désigner faussement une “mouvance”, en font un élément déclencheur de mouvements antiracistes de masse légitimes. En janvier dernier, a d’ailleurs été créé un « Observatoire du décolonialisme », par soixante-seize universitaires réactionnaires, dont l’objectif serait de « mettre un terme à l’embrigadement de la recherche et de la transmission des savoirs », missions similaires aux déclarations récentes des ministres. Les offensives récentes du gouvernement et le renforcement de la tendance au fascisme actuel nous amène à un impératif d’organisation. Nous devons à la fois prendre part aux combats contre le racisme en France avec une volonté toujours plus grande, tout en prenant conscience de la gravité de la période historique qui s’ouvre à nous. Jamais le mouvement ouvrier et populaire n’a été organisé aussi faiblement qu’aujourd’hui. La reconstruction d’organisations de masses de solidarité et de lutte concrète est non seulement notre plus sûr moyen d’émancipation collective, mais aussi un impératif de survie.

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