L’EPE Université de Lille 2022, un grand pas de plus vers la fin de l’université publique

Depuis l’ordonnance du 12 décembre 2018 qui autorise les universités à se
regrouper avec les grandes écoles dans des Établissements Publics Expérimentaux, plusieurs projets d’EPE sont apparus. L’Université de Lille ayant obtenu le label I-site en 2017 avec la condition de créer un nouvel établissement qui rapprocherait l’université des grandes écoles, s’est tournée naturellement vers cette forme de projet d’établissement. L’EPE Université de Lille 2022 est donc un projet qui devait initialement regrouper l’Université de Lille, l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille, Science Po Lille et Centrale Lille au sein d’un Établissement Public Expérimental qui remplacerait l’Université de Lille pour janvier 2022. Il permettrait grâce aux fonds du label l’I-site, d’accéder à une dotation en capital équivalente à plus de 25 fois la capacité d’investissement de l’actuelle Université de Lille afin de financer exclusivement des “projets d’excellence”.

Ce projet a trois objectifs principaux : faire du futur EPE un acteur incontournable du territoire, gagner en prestige au sein des classements internationaux et, comme l’assume la direction elle-même, être au service des grandes entreprises de la région. C’est donc bien dans une logique de libéralisation de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’a été construit ce projet. Cela devient évident lorsqu’on examine le modèle de structuration retenu à l’heure actuelle. En effet, les grandes écoles y disposeront d’un pouvoir politique et de moyens plus importants que les composantes de l’université, indépendamment de la proportion d’étudiant-e-s qu’elles représentent. Les premières pourront par exemple conserver une existence en propre et ainsi continuer à percevoir des subventions de l’État sans répartition préalable avec les autres composantes de l’établissement. A contrario, l’Université de Lille et toutes ses composantes actuelles seront dissoutes au sein de l’EPE, sans retour en arrière ni indépendance financière possible. Si les instances universitaires ne sont déjà que des chambres d’enregistrement dans la réalité, la gouvernance souhaitée par ce projet ne fera qu’amplifier le problème. Ainsi, les personnalités extérieures à l’établissement, parmi lesquelles beaucoup de dirigeant-e-s de grandes entreprises, y seront plus nombreuses que les enseignant-e-s, les étudiant-e-s ou les membres du personnel. Ce mode de fonctionnement permettra à la bourgeoisie locale d’asseoir encore un peu plus sa position de force au sein d’un établissement pourtant public.

Cependant, c’est bien à travers les conditions d’études et de travail au sein du futur EPE que se feront sentir le plus durement les effets de ce processus de libéralisation. Il est notamment prévu que les composantes assument de nouvelles responsabilités comme la gestion des laboratoires ou la recherche de financement, et ce sans moyens humains ou budgétaires supplémentaires. Cette nouvelle répartition des responsabilités va aggraver les inégalités entre les formations et aboutir à la création d’une université à deux vitesses, tout en renforçant la dépendance des formations aux fonds privés. En effet, d’une part les composantes dont les activités de recherche et la main d’œuvre étudiante sont les plus appréciées par l’industrie, seront de facto contraintes à intensifier leurs liens avec le privé à travers notamment les contrats d’apprentissage ou la mise à disposition auprès des entreprises des travaux de recherche. D’autre part, les composantes qui ne disposent pas d’un tel potentiel de rentabilité verront la diversité et la qualité de leurs formations réduites, faute de pouvoir les assumer financièrement. C’est déjà le cas du service commun des langues ou de l’enseignement du français, dont l’existence n’est pas au programme à l’heure actuelle .Cette soumission programmée du fonctionnement de l’établissement aux intérêts de la bourgeoisie aura pour effet de conditionner la qualité de tous les aspects des formations à leur rentabilité : de la mobilité internationale à l’accompagnement social en passant par les modalités de contrôle de connaissances; On peut d’ores et déjà anticiper un impact important sur les étudiant-e-s qui seront confronté-e-s plus largement qu’à l’heure actuelle à la sélection, l’exploitation et l’échec. Plus largement, les problèmes administratifs liés au sous financement vont s’aggraver et avec eux, l’épuisement et la souffrance au travail des membres du personnel.

En parallèle,  la mutualisation inévitable des formations accentuera les contradictions entre les grandes écoles et les anciennes composantes universitaires, ces dernières partant largement perdantes.. En effet, le futur EPE ayant vocation à rassembler ce qui constituait jusqu’en 2018 sept établissements différents, il y existera naturellement des formations et services en doublon. Un bras de fer interne est déjà engagé concernant la résolution de ces contradictions. Ainsi, l’école d’ingénieur Centrale Lille a récemment annoncé vouloir poursuivre le projet d’EPE en tant qu’établissement associé seulement, donc sans devenir un établissement membre. En effet, l’école souhaitait obtenir la gestion de l’ensemble des filières d’ingénierie de premier cycle, y compris celles proposées actuellement en licence par l’Université de Lille. Ce retournement de situation est de taille puisque pour convaincre le jury I-Site, les partisans de l’EPE ont tout intérêt à agréger le plus d’établissements possibles au sein du noyau dur d’établissements membres.. Suite à ce retrait, les autres écoles envisagent de recourir également au chantage afin de s’accaparer les filières “d’excellence” au sein du futur établissement. 

Cela ne sera pas sans effet pour les étudiant-e-s puisqu’il faudra désormais obligatoirement s’acquitter de frais d’inscriptions 10 à 15 fois supérieurs dans le futur pour accéder à certaines formations actuellement dispensées à l’université. 

Il s’agit d’une conséquence de la dérégulation permise par le statut juridique d’EPE, bien moins restrictif que celui d’une université et qui permet en particulier de se soustraire aux frais d’inscriptions relativement faibles fixés pour les formations universitaires. Au-delà d’appliquer des frais d’inscriptions différenciés en fonction de l’attribution des formations à une grande école ou une composante universitaire, l’établissement aura donc légalement la possibilité d’augmenter fortement les frais d’inscription. C’était déjà ce que laissait présager l’augmentation scandaleuse des frais d’inscription pour les étudiant-e-s étranger-e-s hors Union Européenne, contre laquelle il sera encore plus compliqué de lutter lorsqu’elle deviendra la norme. 

En somme, l’Université de Lille active tous les leviers à sa disposition pour chasser hors du futur établissement  les étudiant-e-s issu-e-s des classes populaires ou bien leur réserver les conditions d’études et les perspectives de réussite les plus dégradées.

Certainement consciente du fort potentiel de rejet du projet au sein de l’université, la direction actuelle s’attache à maintenir une opacité importante sur le dossier, tout en suivant le rythme effréné de validation de l’EPE au sein des instances. Les opérations de négociations entre établissements ont lieu sans mandat ni contrôle de la communauté universitaire qui a à peine accès aux comptes-rendus des échanges. Finalement, l’équipe de direction et les instances d’administration de l’université sont accaparées par les travaux sur un établissement imaginaire et délaissent ainsi la gestion de la crise sanitaire. 

Le projet d’EPE Université de Lille 2022 signe donc clairement la fin de l’université publique à Lille. Le retrait des grandes écoles met techniquement en péril la réussite du projet, mais il est probable que l’université se plie à leurs exigences quitte à valider une copie encore plus défavorable pour ses propres étudiant-e-s.   . C’est pourquoi un référendum organisé par le comité de mobilisation du personnel de l’université  se prépare ainsi qu’un référendum étudiant afin   de convaincre largement de la destruction de l’université que représente cet EPE. La mobilisation des personnels commence à bien prendre, celle au niveau étudiant débute à peine mais cela donne espoir pour la suite de la mobilisation ! 

Une réponse

  1. Cet article est effrayant !!!
    Pourquoi n’en entendons nous pas parler dans les médias ? Il n’y en a que pour le Covid. Est ce une volonté pour que les pouvoirs puissent agir librement à leur guise ?
    La requête s’etait elle manifestée lors des manifestations des gilets jaunes ? Et puis que fait Martine Aubry ????

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