Remettant régulièrement le thème de la précarité étudiante en bonne place dans les médias et dans la rhétorique gouvernementale, les cités- universitaires sont des lieux réunissant beaucoup d’étudiant-e-s précaires. Isolé-e-s, les étudiant-e-s y vivent dans de petits appartements souvent vétustes, jusqu’à parfois une situation d’insalubrité complète, comme aiment le constater les journalistes venant à chaque rentrée visiter les résidences Gallois ou Camus de Lille par exemple. Longtemps, des années 1950 jusqu’aux années 1990, des associations de résident-e-s puissantes organisaient une vie sociale et une solidarité dans ces bâtiments, notamment dans les grands ensembles de résidences d’Antony ou Nanterre en banlieue parisienne. Souvent liées nationalement à la FRUF (Fédération des Résidences Universitaires de France) ou/puis à la FERUF (Fédération des étudiants en résidence universitaire de France, scission de 1975) suivant les divisions du syndicalisme étudiant, ces structures nationales ont progressivement perdu de l’audience jusqu’à devenir des coquilles vides. Si des tentatives syndicales ont été faites pour structurer de nouveau des associations de résident-e-s dans les années 2010, comme avec la FERUL à Lille, la FERULim à Limoges, la FERUAM à Aix-Marseille, très peu se sont avérées pérennes et existent encore. Des associations de ce type ont toujours une activité, quoique très réduite, à Rouen (FERUR) ou Nanterre (ARENE). Ce vide fait désormais place à des confrontations régulières directes entre les administrations des CROUS et l’action syndicale étudiante.
L’exemple du CROUS de Lorraine
Présente depuis la rentrée 2019 à Metz, la FSE y milite notamment à la résidence CROUS du Saulcy. Régulièrement concerné-e-s par des problèmes d’insalubrité, etc. les étudiant-e-s et leur syndicat avaient organisé une mobilisation à la rentrée de septembre 2019 pour des conditions de vie dignes et salubres (grand état de délabrement, cafards, etc.). Le CROUS avait alors tenté d’entraver la mobilisation par diverses pressions, en refusant de prêter des salles adaptées pour se réunir, ou par le relais du Vice-président étudiant (UNEF) surveillant et dénonçant les actions des étudiant-e-s mobilisé-e-s. Réunissant régulièrement une cinquantaine d’étudiant-e-s, ces assemblées générales de résident-e-s avaient obtenu une plus grande régularité des désinsectisations et un changement de société référente. On note depuis un traitement différencié de la FSE avec les autres associations, rien que pour un prêt de salle. Limité à 25 personnes maximum pour une salle ayant des capacités d’accueil bien plus grande, le CROUS demande également une réservation minimum une semaine à l’avance, avec le nom et le prénom de l’ensemble des participant-e-s à l’événement. Outre les contraintes bureaucratiques, la volonté de contrôle et la négation des droits syndicaux élémentaires des étudiant-e-s est évidente. Bloquant toute initiative d’organisation ou de mobilisation en résidence, le CROUS a peur. L’an dernier, les camarades syndicalistes ont été contraint-e-s d’organiser du porte-à-porte et des distributions alimentaires clandestines pour ne pas se voir expulsé-e-s des résidences. Depuis l’an dernier également, le Secours populaire cherche à intervenir auprès des étudiant-e-s de Lorraine et notamment en résidence. Tout comme le syndicat, ils se sont vu mal accueillis. Désormais, l’excuse brandit n’est plus le fait de “déranger” les résident-e-s ou le COVID-19, mais bien le plan Vigipirate. La solidarité étant manifestement un facteur aggravant du risque terroriste.
Dépendant du même CROUS, la FSE est également présente à Nancy depuis la rentrée 2020 et milite dans les résidences CROUS de Boudonville et Monbois. Dépendant de la même direction centrale, la politique du CROUS y est similaire. Dans les deux cas, toute action syndicale, même un simple porte-à-porte informatif, y est interdite. Lorsqu’il s’agit de demander des autorisations ou de faire remonter des problèmes, la réaction du CROUS est systématiquement la même : pas de réponse. L’UNEF, participant à la répression syndicale par le biais de leur élu, illustre parfaitement les contradictions de l’action syndicale cogestionnaire : braves et solidement inféodés, inoffensif-vê-s et subordonné-e-s aux exigences du CROUS, ils-elles se voient dans le même temps autorisé-e-s à mener des actions similaires. La solidarité a donc bon dos quand elle n’est pas synonyme d’améliorations et de revendications de long terme. En parallèle, le CROUS poursuit sa politique de l’autruche en expulsant les militant-e-s syndicaux-ales, ne répondant pas à leurs sollicitations et faisant arracher leurs affiches.
L’exemple du CROUS de Bretagne
Les rapports conflictuels avec les CROUS ne sont pas nouveaux et sont même faciles à comprendre. Ce confinement a concentré de fait une large partie de l’action syndicale sur les résidences pour deux raisons : les besoins y sont plus grands, à la fois en termes de précarité et d’isolement ; et il s’agit des derniers lieux réunissant au même endroit plusieurs centaines d’étudiant-e-s. De plus, être confiné-e dans un 9m2, souvent dans des conditions à la limite de la salubrité, ne fait qu’augmenter le ras le bol et la résignation des résident-e-s dont l’isolement profite alors à tout point de vue au CROUS qui n’est pas contraint à l’action.
À Rennes, la FSE a lancé une pétition à destination des résident-e-s demandant une exonération des loyers durant les mois de confinement, signée par plusieurs centaines de résident-e-s en un mois. Partant du constat que beaucoup d’étudiant-e-s s’étaient retrouvé-e-s sans ressources ou n’étaient pas confiné-e-s dans leurs résidences, ce geste paraît alors salutaire. Il l’aurait été d’autant plus qu’il avait été partiellement accordé lors du premier confinement de mars à mai 2020. Surveillant les militant-e-s et les expulsant systématiquement des résidences, notamment grâce à une surveillance vidéo, le CROUS de Bretagne brouille également les consignes et ses acteurs-trices se renvoient la balle de la responsabilité, entre direction centrale et responsables de résidence. Malgré de nombreux problèmes recensés et remontés ou réglés en lien avec les cours ou des situations sociales et financières difficiles, le CROUS a délibérément décidé de convoquer les responsables syndicaux-ales dans une ultime tentative d’intimidation début décembre. Présenter les aides financières, informer sur les droits, organiser récolte et distribution alimentaire, cela ne plaît pas au CROUS, qui perd le monopole des conditions de vie des étudiant-e-s non seulement au bénéfice du privé, mais ici par l’organisation des étudiant-e-s elles et eux même. Soutenue par les organisations syndicales des unions départementales CGT et FO, la FSE de Rennes n’a d’ailleurs pas l’intention d’en rester là. Selon la direction du CROUS, il s’agit d’une mesure qui protégerait les résident-e-s dans le cas où l’ensemble des organisations étudiantes décideraient d’organiser des actions en cités-universitaires. Après l’excuse du plan Vigipirate du CROUS de Lorraine, le CROUS de Bretagne aurait donc simplement peur d’un (peu probable) excès de militantisme ou de solidarité.
Bilan et perspectives syndicales en cités-universitaires
À Metz, un partenariat solide s’est néanmoins construit avec le Secours populaire. Sans attendre d’autorisation et forcé de contourner le CROUS, les distributions ont vite rencontré un vif succès parmi les résident-e-s et ont été relayées avec un écho favorable dans la presse locale. Mis face au fait accompli et cerné par la bonne volonté des étudiant-e-s qui ne leur laissaient plus le choix, le CROUS a alors été contraint d’autoriser les distributions sur leurs terrains. Rien qu’à Metz donc, c’est entre 150 et 200 étudiant-e-s qui ont eu accès à cette solidarité alimentaire chaque semaine, pendant un mois. Outre la Lorraine, ces actions de solidarité et distributions alimentaires se sont organisées avec succès dans d’autres villes universitaires à l’initiative de la FSE. Selon des modalités différentes, les militant-e-s syndicales et syndicaux font preuve d’expérimentation. À Aix-en-Provence, c’est environ 150 étudiant-e-s qui ont pu en bénéficier ; à Rennes, Lille et Nanterre, c’est environ 200 colis alimentaires qui ont pu être distribués grâce à cette solidarité. Organisées avec les seules forces syndicales et des étudiant-e-s motivé-e-s pour faire vivre cette solidarité, ces distributions ont pu rendre concrète une forme d’autodéfense collective étudiante face à des administrations malveillantes et une situation sociale assez désastreuse. Ici avec le Secours populaire, avec EMF dans un premier temps à Lille, ou avec des dons et collectes syndicales en propre, cette expérience de solidarité concrète est un premier pas vers un syndicalisme utile au quotidien qui reste à reconstruire. Le besoin de développer de nouveau des formes d’organisation propres et autonomes en cités-universitaires semble aujourd’hui criant. Branche dédiée du syndicat, associations de résident-e-s, etc. : les mobilisations et la solidarité concrète spécifiques faisant face à des administrations du CROUS de plus en plus malveillantes poussent en tout cas les résident-e-s dans ce sens.