Elle est bien loin la démocratisation tant promise des études supérieures et leur ouverture massive aux classes populaires.
Au moment où l’on parle, de nombreuses et nombreux néo-bachelier-e-s (près de 591 néo-bachelier-e-s n’ont toujours pas reçu d’affectation Parcoursup) et étudiant-e-s se retrouvent sans affectation à l’Université. Les présidences d’université et représentant-e-s du ministère expliqueront que ce sont des cas exceptionnels, dû à des filières en sur-effectifs, ou bien des problèmes d’orientation. À l’inverse, on ne peut qu’observer la récurrence de ces situations, qui en font un phénomène important sur lequel il est impératif de porter une analyse et d’apporter des solutions. Les syndicats l’ont trouvé : l’action collective et l’accompagnement de ces étudiant-e-s laissés pour compte par l’institution. Sur plusieurs facs, des actions qui visent à inscrire les étudiant-e-s dit “sans facs” se mettent en place, comme à Nanterre ou Lille. Les rendez vous peu concluants avec les administrations et les présidences poussent à l’utilisation de moyens plus radicaux (rassemblement, envahissement de conseils…) pour faire entendre la voix de ces personnes qui se voient dénier leur droit aux études supérieures, les administrations renvoyant simplement les étudiant-e-s sans autres pistes possibles.
Poussés à bout par un système qui leur refuse l’accès à la fac, des individus s’organisent seuls pour protester au travers d’actions symboliques, même extrêmes. Ainsi, depuis la rentrée, deux grèves de la faim pour réclamer une inscription ont été médiatisées. L’une par un père désolé par le sort de son enfant recalé de Parcoursup, l’autre par un étudiant diplômé d’une licence de droit à Montpellier qui s’est vu refuser l’accès au Master, débouché logique de ses trois années d’études. Ces actes désespérés découlent directement de l’instauration de la sélection à l’université, que ce soit avec la mise en place de Parcoursup ou les conséquences de la Loi Master de 2016 (décalant la sélection entre le M1 et le M2 au début du M1, ayant pour conséquence sa généralisation).
Cette politique de mise en place de la sélection à l’Université précèdent ces deux réformes et découle d’une volonté de long terme du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR) de trier les étudiant-e-s sur les bancs de l’université en ne permettant qu’aux élites d’accéder à des formations de qualité. Cette sélection prend plusieurs formes et sévit tout au long des études. Pour les plus précaires, les études, si elles leur permettent d’acquérir des connaissances et une émancipation relative, sont aussi synonyme de bataille constante avec les administrations de la fac et le CROUS. S’entame aussi un jeu d’équilibriste entre des études consommatrices en temps et un travail nécessaire pour subvenir à ses besoins, les deux n’étant pas nécessairement complémentaires.
De même, les conditions d’études qui se dégradent faute de moyens (amphis bondés, en piteux état, etc.), couplé à la crise sanitaire actuelle et donc aux problèmes de fractures numériques sont vectrices d’échecs de masse parmi les étudiant-e-s. Même L’État a encore l’indécence de demander aux étudiant-e-s d’être irréprochables sur tous les pans de leur vie : c’est l’ironie d’un CROUS qui pinaille pour une remise de dossier en retard d’un jour et le versement des bourses nécessaires à la survie des étudiant-e-s boursier-e-s 10 jours après le début du mois. Cette situation n’a de cesse de s’aggraver au fur et à mesure du désengagement de l’ État dans les services publics et notamment le CROUS. De plus, le ministère tente de se dédouaner, rejetant la faute sur les universités, au nom de leur autonomie. Or, le gouvernement possède encore de nombreux pouvoirs sur l’enveloppe globale qu’il distribue entre les différentes universités et donc peuvent agir sur les possibilités d’aides directes aux étudiant-e-s.
Derrière la réalité de la sélection, du manque de financement des universités et des CROUS, la rentrée chaotique de 2020 sur fond de crise sanitaire est révélatrice non d’une forme d’impuissance mais d’une absence de volonté d’agir. Le gouvernement confirme le cap de la libéralisation de l’ESR, de fermer la porte de l’Université aux classes populaires par une sélection au caractère social à peine masquée. D’un côté, un enseignement supérieur d’élite composé d’une poignée d’universités favorisées, de grandes écoles et d’établissements privés ; d’un autre un enseignement peu reconnu et sous-financé pour les étudiant-e-s modestes et/ou devant se salarier. Les plusieurs milliers d’exclu-e-s de la sélection auront pour elles et eux les diverses offres de services civiques (dont Emmanuel Macron a annoncé en juillet l’ouverture de 100 000 places supplémentaires à la fin 2020), ou emplois précaires.