Mardi 21 janvier, arrivait dans les rues de Rennes ce que beaucoup n’attendaient plus, que ce soit localement ou nationalement. Une manifestation étudiante, sans appel national ou interprofessionnel, réunissant près de 1 000 étudiant-e-s, bien décidées à aller chercher le budget que le gouvernement refuse à leur université.
A Rennes 2, c’est par exemple tout l’enseignement à distance, regroupant 1 800 étudiants travailleurs, parents, handicapés, et parmi les plus marginalisés par l’enseignement supérieur, qui est intégralement menacé de fermeture. A Rennes 1, ce sont 450 places toutes filières confondues, dont 80 rien qu’en L1 droit, qui sont menacées – et ce malgré les grands renforts de financements privés, d’entreprises d’armements, en outre sionistes, comme Thalès et Safran, et dont l’université est rendue dépendante depuis des années.
Cette mobilisation ne sort pour autant pas de nul part. Dans un contexte où les gouvernements se succèdent et se ressemblent depuis plusieurs mois, la question du budget est un point brûlant de l’actualité. Que ce soit le gouvernement Attal, Barnier ou celui de Bayrou, les volontés politiques ne sont pas au financement des services publics, la preuve en est : sont de nouveau nommés Elisabeth Borne, Bruno Retailleau, et Gérald Darmanin, qui œuvrent déjà depuis plusieurs années à mettre en place une politique d’austérité pour « sauver » l’économie française. Comprenez : sauver les bénéfices du patronat auquel on n’oserait demander de mettre la main à la poche. Leur politique revêt également un caractère réactionnaire et raciste : loi Darmanin, répression des mouvements sociaux, gestion coloniale de Mayotte, future loi immigration. Ces mesures sont la preuve de l’avancée des politiques d’extrême droite dans notre régime politique.

Les partis au pouvoir ne sont autre que des relais de ceux qui n’étaient il y a quelques années que des groupuscules radicalisés, et cela impacte les administrations publiques, que notre force de travail finance. Car c’est bien à la classe des travailleurs, et non aux libéralités de quelques bourgeois, qu’on doit la construction et le fonctionnement des hôpitaux, des écoles, des facs, des transports, des centres de cultures… Pourtant les patrons et représentants politiques prétendent ne rien nous devoir. Ils ne nous écoutent pas, et les législatives de juin, illusion démocratique totale à la suite de laquelle rien n’a changé, ont simplement rendu plus évidente encore la dictature de la bourgeoisie, qui met les idées nauséabondes de l’extrême droite à l’agenda. Il n’est donc pas étonnant que le budget que l’Etat français consacre aux moyens de subsistance de sa population en pâtisse, et notamment l’éducation et la santé, ce qui touche évidemment bien plus les prolétaires que les élites dont ils font partie, et renforce des dynamiques racistes, sexistes et validistes déjà bien ancrées. Les investissements, eux, vont droit dans les moyens de la répression, vers l’armée (+3,3 Milliards d’euros), la police nationale (+331 Millions d’€ en 2025), les prisons (+358 Millions d’euros) et les CRA (+60 Millions d’euros). Et ce, sans oublier les étrennes du patronat. A titre de comparaison, le budget alloué par l’Etat pour la vie étudiante, qui contient le versement des bourses aux étudiants, l’entretien, la construction et la rénovation de cité U du CROUS, l’accès à des assistantes sociales, à la santé, au sport et à la culture pour les étudiants est de 3,2 Milliards d’euros, contre un budget de 25 Milliards pour l’apprentissage par exemple. Bonne année le Medef, on vous offre le champagne !
L’Université publique est une des victimes de l’austérité, bien que Bruno Retailleau ait récemment tenté de détourner l’attention de ce sujet en attaquant le port du voile sur les bancs de la fac. Mais, nous ne sommes pas dupes, nous voyons dans quel état nous sont laissées nos universités, dont 4 sur 5 sont actuellement endettées : hausse des frais d’inscription, frais différenciés pour les étudiants étrangers, fermeture de places et de filières, bâtiments insalubres sinon en mauvais état, manque de matériel ou matériel obsolète, manque d’enseignants et de personnels, bâtiments inaccessibles pour les étudiant-es handicapé-es, nombre de logements CROUS trop faible, offre de restauration CROUS insuffisante, etc. Il nous serait bien impossible de faire une liste exhaustive de tous les dysfonctionnements au sein de nos universités, tant ils sont symptomatiques de budgets que l’Etat ampute depuis de trop nombreuses années.
Les premières victimes de ces coupes budgétaires sont toujours les mêmes : les étudiant-es issues du prolétariat, que la bourgeoisie cherche à pousser dès le plus jeune âge vers des voies professionnelles, elles-mêmes sous financées et délaissées aux mains d’entreprises privées abondamment abreuvées par l’Etat français. L’idée est simple : dès leur sortie du collège, et parfois même avant, il faut faire de ceux qui auraient pu devenir des étudiant-e-s de la chair à patron. L’orientation des plus pauvres n’est pas librement choisie, comme celle de la majorité des étudiants, qui sont tous écrémés par Parcoursup ou MonMaster. Rappelons pour ceux qui trouveraient cela naturel qu’il y a moins de dix ans, n’importe quel étudiant pouvait s’inscrire à n’importe quelle formation dans n’importe quelle fac simplement en s’y rendant en septembre. Mais depuis, il y a de moins en moins de moyens, de facs, de formations et de places, et pour masquer tout ça, les barrières sélectives, excuse élitiste et méritocratique aux cadeaux que l’Etat fait au patronat.
Les mobilisations qui prennent place dans nos universités, comme on a pu le voir l’année passée l’année passée à Limoges contre le manque d’enseignants et à Aix contre la suppression de 11 000 heures de cours, ne font que mettre en lumière nos conditions d’études qui se détériorent à vue d’oeil. Dès décembre dernier, ces mobilisations se sont renforcées partout en France, contre le manque de budget dans les universités et dans les CROUS.
Ces mobilisations convergent avec les mobilisations pour la Palestine, sur nos campus, qui dénoncent notamment les partenariats avec des groupes finançant Israël et son armée, comme Thalès, Safran et BNP Paribas, et dont l’Etat pousse les universités à se rendre dépendantes. Le 21 janvier à Rennes, plusieurs centaines d’étudiant-e-s entrés en force dans le campus de droit de Rennes 1 ont ainsi entonné le slogan “Israël assassin, Thales complice ! Israël assassin, Rennes 1 complice !”. Au mégaphone, un camarade de la FSE dénonçait “les places dans les conseils d’UFR octroyées d’offices aux conglomérats privés”, qui les rendent décisionnaires dans nos cursus. Car si de telles entreprises ont réussi à se faire une place sur nos campus, c’est avec la complaisance de nos présidences d’université, jamais clairement positionnées contre le sionisme et qui ont peu de scrupules à nourrir le génocide du fait de leur impunité.
On aimerait croire que ce mode de financement est une manière détournée pour l’État de récolter l’argent des entreprises, mais il n’en est rien. En effet, le budget alloué aux crédits d’impôts recherche, c’est-à-dire au fait que l’Etat rembourse les dépenses des entreprises dans la recherche en les exonérant de taxes, représente 7 Milliards d’euros, le double du budget pour la vie étudiante ! C’est donc plus une façon d’imposer « discrètement » les exigences du privé dans nos universités, que de se servir dans les poches de ces entreprises. Pourtant, nos études ne devraient dépendre d’aucune entreprise privée, et encore moins de celles qui soutiennent activement Israël .
Car c’est au fond cela dont il est question quand on parle du budget : c’est la question du pouvoir. De qui dirige, de qui impose ses intérêts au reste de la société. Et le 21 janvier, les étudiants de Rennes, particulièrement de Rennes 2 qui avaient bloqué le campus de Villejean au matin, nous ont montré qu’ils n’allaient pas se laisser faire. “Et la fac elle est à qui ? Elle est à nous !” résonnait dans toutes les rues du centre ville, dans Science Po, dans les lycées et jusqu’au rectorat. Sur les murs du campus Villejean fleurissaient pêle-mêle des slogans pour l’avenir des étudiant-e-s “Diplômés pour l’exploitation : merci la fac !” ou “Jeunesse en colère”, et pour des changements sur l’exercice du pouvoir bien au-delà des universités. Ainsi appercevions-nous des tags “De la mer au jourdain, Palestine aux Palestiniens” ou “Libérons Georges Abdallah”, résistant libanais enfermé en France depuis 40 ans pour son soutien à la Palestine. Car les étudiant-e-s de Rennes 2 l’affirment : la fac est au milieu de la société, et pas coupée du reste des enjeux politiques. Les étudiants sont prêts à faire trembler leur gouvernement, car derrière les coupes de budgets se cachent la honte et la misère auxquels on les destine. Et à 1 000 personnes dans les rues, on peut deviner que la guerre de classe va être rude. Ca fait des années qu’à Rennes et même en France, on n’avait pas vu autant d’étudiants réunis pour une manifestation appelée par eux-mêmes. Avec un message : Macron, attention, nous allons prendre en main notre destin !
Aujourd’hui, tout porte à croire que le reste des universités suivront. Le 6 décembre dernier, près d’une dizaine de facs s’étaient déjà coordonnées pour bloquer un même jour pour la Palestine et Georges Abdallah. Paris 8 a bloqué plusieurs fois le semestre dernier, et le campus de Clignancourt, rattaché à Sorbonne Université, n’a pas rouvert pendant 2 mois grâce à un long blocage contre les partenariats avec Israël. Partout en France, notamment à Lille, à Strasbourg et à Toulouse, ce sont les lycéens qui ont bloqué leur site d’étude. La situation en France est bouillante, et le contexte international n’est pas favorable au gouvernement (révoltes en Kanaky contre l’Etat colonial français, mobilisations à Mayotte, en Martinique et en Guadeloupe, retrait des troupes françaises en Afrique suite à l’opposition de la Côte d’Ivoire à sa présence sur son sol, et victoire de la résistance palestinienne contre laquelle la France se mobilise). Notre état impérialiste et bourgeois est attaqué de partout. Tout nous porte à l’optimisme et à l’espoir : le gouvernement devra céder aux masses s’il ne veut pas voir ses politiques s’effondrer d’un seul coup. Car comme l’entonnaient les Rennais ce mardi “l’État bourgeois n’est pas notre Etat : tout le pouvoir au prolétariat !”.
Nous devons, sur chaque campus, faire entendre notre voix, pour une augmentation des budgets alloués à l’Enseignement supérieur et à la Recherche et aux services publics dans leur ensemble. Pour que les universités soient ouvertes à tous et toutes, la seule solution est la mobilisation : Macron a peur de la colère qui jaillit des masses. Nous devons exiger que l’Etat assure son devoir de financement de ses services publics à la hauteur de leurs besoins. Cette mobilisation doit se faire auprès des travailleurs et travailleuses de tous les secteurs, à l’instar de la mobilisation du 5 décembre dernier pour les services publics et qui avaient vu plus de 200 000 manifestants prendre les rues de France. D’années en années, et avec une cruelle intensification ces derniers mois, les travailleur-euse-s se retrouvent aussi avec la corde au cou. Nous devons donc rejoindre et amplifier les voix de l’éducation nationale, des hôpitaux, des salariés des services publics mais aussi du privé, qui se battent pour leurs conditions de travail.
Étudiant-e-s, nous devons arracher l’autogestion de nos lieux d’études par les usager-e-s et travailleur-euse-s. Nos universités doivent être gérées par les étudiant-es et personnels qui les côtoient au quotidien et non à des carrièristes politiciens, représentants des politiques gouvernementales n’ayant que leur propre intérêt en tête. Nous exigeons que quiconque puisse fréquenter les bancs de la fac, à n’importe quel moment de sa vie, sans conditions, par la suppression des frais d’inscription, l’augmentation des bourses, une multiplication du nombre de logements sociaux étudiants, etc. Les universités doivent être le lieu de la diffusion libre et massive du savoir, ainsi que de son accroissement : pas celui de la préparation au salariat à tout prix. Il nous faut être ambitieux pour nos universités, afin qu’elles ne soient pas réservées à une élite minoritaire mais qu’elles deviennent le lieu d’émancipation qu’elles prétendent être.
Étudiant-es, unissons-nous, organisons-nous ! Syndiquons-nous et mobilisons-nous ! Bloquons nos facs, occupons-les et prenons les rues !
Mercredi 29 janvier, l’Assemblée Générale de Rennes 2 appelle à l’élargissement de la mobilisation : partout en France, répondons présent-e-s ! Pour nos universités, nos conditions de vie, nos services publics, soyons au rendez-vous !